Il les appelle ses « filles ». Elles sont sa passion depuis toujours. Il les chouchoute et leur offre bien volontiers le gîte et le couvert.
Mercredi 23 septembre 2015, j’ai rendez-vous sur les toits de Paris, avec Audric de Campeau.
D’origine champenoise, passionné d’environnement, il est apiculteur depuis 2004 dans sa région. Depuis 2009, il dispose de 20 ruches sur plusieurs toits de bâtiments parisiens. Où ça ? Réparties sur les toits du Musée d’Orsay, de la Place Beauvau, de l’Ecole Militaire et dans les douves des Invalides.
C’est sur les toits de l’Ecole Militaire qu’a eu lieu ma rencontre avec ses demoiselles. Vue imprenable sur le Champs de Mars, la Tour Eiffel en fond, Paris est à 360°.
Lorsque l’on pense « abeilles en ville », on peut se questionner sur leur bien-être et supposées conditions moyennes de vie en milieu urbain. Ne seraient-elles pas plus à l’aise dans nos champs, plus épanouies à butiner un coquelicot dans un champ de blé ? Que nenni !
Les abeilles sont bien plus heureuses en ville. Les « parisiennes » sont beaucoup moins exposées aux pesticides que leurs congénères rurales. Les autres raisons ? La désertification des campagnes, la gazéification des sols ou encore les invasifs, comme le frelon asiatique qui ne leur laissent aucune chance. En plus, l’abeille filtre son environnement dans son corps ainsi, la pollution ambiante des gaz d’échappements et autre dioxyde de carbone ne l’atteignent pas.
Économiquement, l’expression « lorsque le bâtiment va, tout va » est de rigueur. Écologiquement, « Quand les abeilles vont, tout va ! » serait adapté. Pourquoi ? Car les abeilles sont de véritables sentinelles urbaines de l’environnement. Sans les abeilles, les plantes à fleurs n’existeraient pas et sans les plantes à fleurs, pas d’abeille. Plantes à fleurs mais aussi et surtout arbres ! En effet, les abeilles butinent les fleurs d’arbres parisiens exotiques qui, en réalité, n’ont rien à faire en France comme le marronnier d’Inde, l’oranger du Mexique, le tilleul de Crimée ou encore le sophora du Japon : tous disposent de fleurs mellifères, productrices de nectar. C’est la raison pour laquelle les fleurs abondent autour des ruches : les amies de Maya butinent dans un rayon de 3 à 5 km de leur domicile et laissent généralement tranquilles les fleurs de nos balcons. Une porte d’entrée (et de sortie), située en bas de la ruche, permet la balade urbaine des abeilles.
La pollinisation is in progress : c’est le mode de reproduction des fleurs, de l’organe mâle à l’organe femelle. Comment peuvent-elles donc se reproduire sans « flirter » ? L’abeille s’en occupe. En effet, lorsque cette dernière butine la fleur, elle transporte de manière involontaire les grains de pollen sur la fleur-femelle en attente de reproduction. Le vent y aide également.
En fait, les abeilles créent le miel. Pas la guêpe. Même, les abeilles combattent celles qui viendraient à s’approcher d’un peu trop près de leur habitat. Le miel est la substance produite à partir du nectar des fleurs. Les abeilles l’entreposent dans la ruche et s’en nourrissent toute l’année. Elles aspirent le nectar qu’elles stockent dans leur jabot, se l’échange par trophallaxie (transfert de nourriture) et l’enrichisse considérablement.
Le travail de conception du miel est déjà en cours. Une enzyme, l’invertase, créée de toute pièce par l’abeille, catalyseur biologique, se mélange au nectar fraîchement butiné grâce à une réaction chimique. Puis, la butineuse régurgite le nectar à la receveuse. Une fois stocké dans les alvéoles, les cavités operculées, le miel est déshydraté par ventilation. Le miel est ainsi stocké par les abeilles pour servir de réserve de nourriture à la colonie.
Lorsqu’Audric vient à Paris tous les quinzaines s’occuper de ses filles, il repère si ces dernières « ont bien bossé ». En général oui. En cas de disette, et pour les stimuler, Audric leur (re)donne du miel ou du sirop de sucre bio. Pour leur donner cette substance sans risque, il utilise un enfumoir qui rappelle aux abeilles un feu de forêt les faisant ainsi descendre au fond de la ruche. Elles ont cela dans leurs gênes depuis des générations. Elles se gavent de miel par réflexe pour un potentiel départ.
Outre celles parisiennes, Audric installe des ruches high-tech sur les toits d’entreprises suisses. Ces ruches 2.0 disposent de webcams, capteurs thermiques, hygromètres et panneaux solaires pour rendre le système indépendant. Autant d’outils technologiques qui permettent de disposer d’une visibilité en temps réel des mouvements des abeilles. L’apiculteur connecté limite ses déplacements sur les toits et reçoit les informations nécessaires par texto (miellée qui démarre, disette, essaim qui s’envole…). Les entreprises suisses, en demande de nature, qui disposent de ruches sur leurs toits, consomment ce miel à des fins personnelles : production locale et bilan carbone quasi-nul !
En moyenne, c’est 60 000 abeilles par ruche l’été, 20 000 l’hiver. La courbe de population monte au printemps et baisse à l’automne. C’est lors de la période printemps-été, lorsque les fleurs abondent et que la météo est favorable, que les abeilles fabriquent en grande quantité le miel (la miellée) : 30 à 50 kg de miel par an. Sans condition météorologique correcte, la production de miel peut être réduite à 0, les abeilles préférant rester chez elles.
Les abeilles crèvent. Un chiffre inquiétant concernant l’effondrement de ses demoiselles rayées. En France, la production de miel est passée de 30 000 tonnes en 1995 à 10 000 en 2014. Dur dur pour elles ! Pour nous aussi ! 80 % des espèces végétales dépendent des pollinisateurs, dont l’abeille fait partie, pour leur survie et leur reproduction d’où l’importance du métier d’apiculteur. Les abeilles assurent la survie et l’adaptation des plantes. Elles maintiennent la biodiversité dans nos villes et préservent l’équilibre des écosystèmes. Sans apiculteur, pas de ruche. Sans ruche, pas d’abeilles. Sans abeille pas de fleurs. Sans fleur, pas de biodiversité : la boucle est bouclée ! Bzzzzzz.
A Paris, chaque pot est unique. Conçu à partir des fleurs des arbres exotiques, le miel révèle un goût particulièrement mentholé. Vous trouverez le miel d’Audric, « LE MIEL DE PARIS », dans certaines épiceries fines parisiennes.
Et si elles vous approchent, no stress, elles ne vous embêteront pas. Et si par malchance, l’une d’entre elles vous pique, conseil de l’happy culteur : à l’image d’un rasoir, passez en dessous de la poche à venin pour ne pas l’écraser.
A Audric, un grand MERCI pour cette passionnante rencontre et tes piquantes explications sur tes demoiselles :)
« La diligente abeille n’a pas de temps pour la tristesse ». William Blake (peintre britannique)